Février 2016, la guéguerre picrocholine de l'orthographe

6 mars 2016
Première page de l'ordonnance royale de Villers-Cotterêts

A l'origine, un article de BFM TV nous apprend qu'à la rentrée 2016, les manuels scolaires devront appliquer l'orthographe réformée de 1990.

Cette réforme proposée depuis 1990 est censée être appliquée par l'Éducation Nationale depuis 2008. En effet, les programmes conçus sous l'égide de Xavier Darcos signalaient, pour le primaire, que « l'orthographe révisée est la référence » (Bulletin officiel de l'Éducation nationale du 19 juin 2008).
Cela impacte environ 2 000 mots de la langue française, sur environ 60 000 mots répertoriés : entre autres, ognon perd son i, nénufar perd le ph, et l'on supprime l'accent circonflexe sur le i et le u, là où il n'a aucun rôle diacritique.

Ensuite, tout part en vrille :
Dans une interview publiée le 13 février par Le Figaro, Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuelle de l'Académie française, prétend n'avoir "pas compris les raisons qui expliquent l'exhumation d'une réforme de l'orthographe élaborée il y a un quart de siècle et où l'Académie française n'a eu aucune part, à l'inverse de ce qu'on l'on a voulu faire croire".

Najat Vallaut-Belkacem, Ministre de l'Éducation Nationale, prend alors sa plume et fait part de son étonnement à Mme Carrère d'Encausse, "étonnement renforcé par le fait que ces rectifications sont intégrées dans la neuvième édition du dictionnaire de l'Académie française et que l'Académie, pourtant contactée par le Conseil supérieur des programmes cet été, n'a pas fait de remarque quant à la présence de cette référence". En effet, dans les années 1990, la réforme a bel et bien été portée par Maurice Druon, le prédécesseur de Mme Carrère d'Encausse au secrétariat perpétuel de l'Académie.

Manquant singulièrement de courage, l'Académie française, dont la principale fonction est, rappelons-le, "de travailler, avec tout le soin et toute la diligence possibles, à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences", répond par un communiqué le 16 février 2016, dans lequel elle indique ne pas être à l'origine de la réforme, non sans avoir quand même donné son accord à l'époque sur le principe de cette réforme. Le communiqué se termine en eau de boudin, où l'on comprend qu'il est urgent de rien faire...

Bien évidemment, la polémique a occupé les réseaux sociaux et la blogosphère pendant tout le mois de février, défendant jusqu'à l'absurde l'intérêt de l'accent circonflexe, là où il n'y en a jamais eu besoin. Les Immortels n'ont donc pas le privilège de la bêtise.
Dans cette affaire, tout le monde a oublié que l'évolution du français n'est qu'une succession de réformes et de codifications des usages, notamment par le biais des dictionnaires.
Imagine-t-on écrire encore aujourd'hui tel que le faisait François 1er dans son ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 : "Nous voulons que doresnavant tous arrestz ensemble toutes autres procedures soient de noz courz souveraines ou aultres subalternes & inferieures, soient de registres, enquestes, contractz, commissions, sentences, testamens et aultres quelzconques actes & exploictz de justice, ou qui en dependent, soient prononcez, enregistrez & delivrez aux parties en langage maternel françois et non autrement."

Il n'est pas inutile de rappeler que les précédentes réformes de l'orthographe, en 1835 et 1878, l'ont été à l'initiative de l'Académie française, à l'époque où elle servait encore à quelque chose. Aujourd'hui Larousse et Petit Robert ont pris le relais.

Pour vous y retrouver :

Les POUR

Les CONTRE

Le mot de la fin à Benoît Melançon, professeur de langue française au Canada, dans une interwiew à Radio Canada : « Un francophone, c'est d'abord un mammifère affecté d'une hypertrophie de la glande grammaticale. Les francophones sont hypersensibles et conscients de tout ce qui concerne la langue. »

[EDIT 21/05/2017] : La guéguerre connaitra un nouvel et bref épisode en mai 2017 dans l'émission de télé On n'est pas couchés : la "journaliste" Vanessa Burggraf accusant l'ex-ministre Najat Vallaud-Belkacem d'avoir imposé cette réforme de l'orthographe. Mais en un an, on est passé de la polémique intellectuelle au règne de l'intox et des "fake news"...

[EDIT 12/12/2017] : La guéguerre n'en finit pas et se déplace sur le champ de bataille de l'écriture inclusive. Voir à ce sujet notre article "J'ai testé pour vous...l'écriture inclusive"

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